Héritiers d'illustres auteurs : pourquoi avez-vous donc des droits ?

Je viens de recevoir la newsletter de mon webzine adoré: Audiofanzine. L'édito signé "Los Teignos" est toujours aussi savoureux et pose une question toute simple et pleine de bon sens : au nom de quoi les héritiers d'un illustre et très décédé artiste touchent-ils des droits d'une oeuvre qu'ils n'ont pas créée ?
Je ne résiste pas à la tentation de livrer cet édito à votre réflexion. Tout commentaire est évidemment le bienvenu !

(édito daté du 4/3/2011)

"La mer […] a des reflets d'argent"

Tirée d'une des plus célèbres chansons françaises, cette phrase prendrait presque, dix ans après la mort de Charles Trenet, des allures de prophétie. C'est que ça bataille dur au pied de l'urne funéraire, entre Georges El-Assidi, ancien secrétaire personnel et unique héritier du chanteur, et Michel Paradis, un Québécois de 61 ans qui affirme être le fils de ce dernier. Ca bataille dur pour quoi ? Pour les reflets d'argent justement, soit quelques propriétés immobilières et l'ensemble des droits sur les chansons de Trenet. Une fortune, quoi…

Facétieuse, la justice a repoussé son audience au 21 juin prochain. On saura donc bientôt si, à la faveur des tests ADN pratiqués sur la demi-sœur du chanteur, l'affaire Trenet parvient à atteindre les mêmes sommets de macabre et de grotesque que l'affaire Yves Montand, il y a de cela quelques années (encore que Charles ait eu la sagesse de se faire incinérer, lui)…

Reste un truc qui me gêne. Je dois être vraiment idiot, inculte ou quelque chose du genre, mais je n'arrive pas à comprendre : alors qu'on est censé avoir eu un débat sur la propriété intellectuelle pour mettre au point HADOPI, comment se fait-il que personne n'ait remis en cause cette aberrante possibilité de pouvoir léguer ou céder ladite propriété ? Je veux dire : lorsque j'achète un disque de Prince, de Juliette ou de Matthieu Chedid, je comprends le principe des royalties. Quelqu'un a écrit une musique, quelqu'un a écrit des paroles et une partie du fruit de la vente leur revient parce qu'on estime que c'est là leur travail et qu'ils doivent être rémunérés pour cela.

Là où j'ai plus de mal à comprendre, c'est avec Michael Jackson, Barbara ou encore Jimi Hendrix qui sont tout ce qu'il y a de plus morts. Au nom de quoi donnerais-je de l'argent à leurs héritiers ? Pour récompenser les uns d'avoir été de bons avocats, ou pour féliciter les autres d'avoir été déposés par la cigogne dans les testicules ou les ovaires d'un artiste ou de l'un de ses proches ? Quelle légitimité morale ont-ils de vivre d'une oeuvre qui n'émane pas de leur propre intellect ?

Je le dis sans malice, et je veux bien croire qu'il y a une raison évidente à cette disposition de la loi. Mais j'ai beau examiner le problème sous tous les angles, je ne vois aucun bon sens là-dedans, ni rien qui donnerait à qui que ce soit mauvaise conscience en téléchargeant illégalement la musique d'un artiste mort. Et, ce faisant, je m'étonne que le soi-disant débat HADOPI se soit plutôt concentré sur les modalités d'une punition que sur la vraie question que pose le téléchargement illégal : la façon dont nous percevons et gérons la propriété intellectuelle est-elle pertinente ?

Evidemment, si l'oeuvre des artistes tombaient dans le domaine public sitôt ces derniers décédés, ce qui serait une aubaine pour la démocratisation de la culture serait une catastrophe pour le maintien de l'Ancien Régime : au lieu de recompiler Joe Dassin, Claude François ou Dalida tous les 5 ans, les maisons de disques serait obligées de risquer un peu plus d'argent sur des artistes vivants, Yoko Ono serait obligée d'écrire au moins une bonne chanson dans sa vie et Georges El-Assidi devrait devenir le secrétaire de quelqu'un d'autre…