L'Artemyx ou le jeu des miroirs

Lors de ma participation à ArT SaVes I organisé par l'ArTemyX - pour une performance avec Batchass - ma première réaction a été de me protéger, d'ignorer le monde, tout le monde. Ce n'est pas ou plus un secret : mes relations avec autrui sont... compliquées et j'ai besoin soit de temps, soit de codes précis (comme le cadre du travail, réglé comme une pièce de théâtre) pour que cela fonctionne.


Je voyais autour de moi ces "extra-terrestres" : Laurie et ses piercings trop partout, Black Golgoth et sa barbe trop fine, Loic Bollengier et ses photos trop flippantes, Aurore Lane et ses costumes trop barrés, Zack et ses cheveux trop oranges, Valérie et Juliette trop gentilles et trop peu soumises à la gravité pour ne pas être suspectes, quant à Artémis non mais t'as vu la présidente, ses tatouages et ses cheveux fuchsia ? Tout mon être me hurlait : "barre-toi loin de là !", je me sentais complètement étranger à eux, au public, à tout quoi ! Et j'en tirais une muette fierté imbécile.

Pour ArT SaVes II, organisé complètement à l'arrache à cause d'un changement très soudain de date, était-ce ce changement ou non mais j'ai pris le temps de les regarder, de vraiment les regarder, chacun, chacune. Laurie toute frêle et souriante, Valérie et Juliette chaleureuses et aériennes, Black Golgoth et son univers poétique, Zack et sa propre mise en abîme dans sa BD ou Artémis ultra concentrée, ultra concernée ! Et de prendre conscience de ma connerie...

Ou devrais-je dire de mon ignorance. Car chacun et chacune, à sa manière et dans son unicité, a joué pour moi le rôle de miroir. Oui, ces gens sont "de ma famille, de mon ordre et de mon rang" et ces "extra-terrestres" tels je les avais jugés la première fois sont en fait mes semblables. Je suis l'un d'eux et l'ignorer jusqu'alors était ma connerie. Bien sûr, je n'ai pas des talons de 20 cm ornés de cartouches, de dreadlocks fluos ni de tatouages impressionnants, je n'ai pas la capacité de m’élever le long d'une barre par la simple force de mes bras ni celle de capturer l'instant décisif, je n'ai pas de couleur délirante dans mes cheveux ou d'habits bariolés, ni le don de portraiturer mes idoles littéraires. Mais j'ai ma tête. Ma putain de tête dans laquelle résonne des milliards de sons qui s'assemblent et s'entrechoquent jusqu'à produire de la musique beaucoup, croyez-moi, beaucoup de musique. Il y en a tant qu'une existence n'y suffirait pas et lorsqu'en plus une rencontre comme Artémis démultiplie les possibles, imaginez l'univers qui règne dans cette boîte crânienne... C'est parfois d'une telle beauté, et il faut un tel travail pour le retranscrire "dehors" ! Oui, vraiment, je suis de ces êtres étranges et décalés qui ont un monde à l'intérieur, un monde en soi. Et chacun des membres de l'ArTemyX assumant sa propre particularité et son talent m'en a fait prendre conscience. Et ces maquillages, et ces couleurs outrancières, n'est-ce pas de la mise en scène ? Non, justement, c'est par ce biais qu'ils montrent leur vraie peau. C'est en ne les portant pas qu'ils se mentent et nous mentent. C'est exactement cela que j'ai  vu ce soir-là.

J'apprends énormément à côtoyer les talents de l'ArTemyX, à sentir le lien spécial de ce connectif. Pour un infirme du lien social, c'est déjà pas mal, non ? J'ai mis 35 ans à apprendre l'art de l'esquive et voilà une bande bigarrée qui m'invite à oublier tout cela ! À trop renier sa famille on finit sans racines...