Le fond de soi / leçon de foi - partie 2

Dans un billet précédent (qui date un peu), je vous faisais part de l'expérience de "toucher le fond", lorsque la dépression frappe fort, très fort et que l'on descend au plus profond dans la part la plus obscure de soi. J'évoquais l'existence d'une force très ténue, quasi infime mais bien présente qui peut nous aider à remonter. Voici la suite de ma réflexion.
Ainsi, même au fond de mon propre océan, j'ai mis du temps à admettre puis sentir (la dépression se nourrit aussi de mauvaise foi...) qu'il reste une part de moi qui aime, qui sait encore aimer ou - mieux - qui a encore envie d'aimer. Cette part de moi, ignorée, recluse et tue est devenue ma ligne de vie. Ou devrais-je dire mon fil de vie... Si fragile ! Et si peu perceptible surtout dans les moments de prostration, mais bien là. Et ce fil m'a guidé jusqu'à la surface pour reprendre vie. C'est ainsi que j'ai pu, lentement et (avec quelques désillusions, quelques ratés quand même), reprendre goût à la vie.

L'après-dépression c'est comme après un régime alimentaire : le plus dur, c'est de durer sans replonger !  Ce qui pose la question du bonheur : c'est quoi être heureux ? Quand est-ce qu'on peut dire "je suis heureux" ? Et bien sûr : suis-je apte ou inapte au bonheur ? Car c'est ce que je recherchais pour "durer" : la sensation de bonheur, un truc solide qui me maintienne la tête hors de l'eau, bon sang !

Ma première erreur a été de repartir avec des recettes appliquées depuis des années : "je serai heureux quand j'aurai une maison, que je vivrai de ma musique, que je gagnerai tant, etc.." Je vous passe la liste des conditions nécessaires et suffisantes à mon bonheur. Oui, des conditions sans lesquelles mon bonheur ne pouvait être. Rien qu'à le dire, la contradiction se révèle d'elle-même. Cette première erreur a été ma première rechute. Le bonheur doit être un état d'être, une manière de vivre qui sait se rendre indépendante - autant que possible - des conditions de vie.

Mon autre erreur a été de croire qu'une fois la sensation de dépression derrière soi (quelle sensation !) tout était réglé définitivement, que c'était gagné, fini, terminé, résolu ! Bref, je n'en parlerai plus ! C'est bien mal connaître - pourtant après des années de pratique - la roublardise de la bête capable de vous saisir à la gorge au moment le moins probable. Et les rechutes sont dangereuses car chargées de lourdes désillusions, de perte d'espoir. Il faut savoir vivre son après dépression comme un "dépressif non rechutant" : je suis et reste un dépressif. Mais je dois poser une hygiène de vie et une hygiène mentale propre à ne pas me faire rechuter. Et cette hygiène de vie repose essentiellement sur, je vous le donne en mille, celles et ceux que j'aime ! Ce sont eux qui me nourrissent, m'aiment, me rendent vivant, me donne l'envie et au final font que la vie vaut le coup. Oui, si la vie doit avoir leurs visages, alors elle vaut le coup.

Ma dernière et récente erreur a été de sur-évaluer cette "hygiène de vie" dont je parle précédemment et nécessaire à mon bien-être. C'est un peu comme si je répétais l'erreur précédente mais conjuguée différemment. Je suis partie tête baissée pour devenir ultra zen, plaquer mon job, méditer tous les jours, créer tous les jours (ô bonheur !) et aimer, aimer, aimer... Cet idéal - le mot est faible - de vie s'est heurté à une réalité simple : subvenir aux besoins de ma famille. J'ai du poursuivre un job conventionnel (mais pas douloureux non plus) et j'ai considéré ce devoir comme un énième échec : rebelote et rechute. Pourtant Saint Augustin aurait pu me mettre la puce à l'oreille :  "Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède."

Le bonheur est un mélange étrange de forces qui viennent de l'intérieur. Il y a peu, je me suis donc éveillé, j'ai vu enfin les merveilles qui m’entourent au quotidien. Une fille unique au monde, extraordinaire, une femme amoureuse, belle et combattive, une région lumineuse, pleine de vie, des passions créatrices, des ami-e-s rares mais exceptionnel-les, autant de dons ou de talents ou de chances qui font le kaléidoscope que je suis.  S'était-il passé quelque chose d'extraordinaire dans mon quotidien ? Non. Mon regard est au contraire devenu intraordinaire. Puis, suite à une discussion que j'ai eue avec une amie me disant : "la noirceur, quand tu réfléchis bien, elle ne sert à rien, ne t'apporte rien, ne te rend même pas beau", j'ai décidé d'être heureux. Oui, c'est une décision ; pour être plus précis, j'ai décidé qu'à chaque idée noire (elles sont hélas naturelles chez moi), j'opposerai ma volonté, mon choix comme une réponse : "non, c'est cette vie là que je veux, que je vis", une sorte de "je suis heureux parce que j'en ai envie", un cercle de bien-vivre qui vient des autres, de toutes celles et tous ceux auxquels je tiens.

Le bonheur est un choix, mais  j'ai découvert que c'est un choix difficile à faire. Pourquoi ? Il est bien plus aisé de se laisser emporter par le flots de ses idées pessimistes ; le temps et l'expérience sont nécessaire pour trouver en soit la force de s'opposer à elle et de simplement dire "non, ce n'est pas cela que je veux". Mais le début de ce cheminement tient en ce constat :  tant qu'on a l'envie d'aimer, c'est qu'on est encore vivant ! Et cette vie-là mérite d'être défendue !