de la quête de sens et de l'entertainment

Dans une interview récente, le photographe - mythique à mes yeux - Anton Corbijn évoque la différence d'esprit dans le monde de la musique entre ses débuts dans les années 70 et aujourd'hui :
"Si je commençais aujourd’hui, je ne choisirais pas de travailler dans la musique. Cela n’aurait aucun intérêt. L’aura de mystère autour des pop stars que nous ressentions quand j'étais gamin n’existe plus. Dans les années 1960 et 1970, la musique était importante, on lui donnait du sens, une vocation. Aujourd’hui, ce n’est plus que de l’entertainment..."
Ses derniers mots font écho à ce que je cherche à vivre dans la musique : une quête de sens, une vocation. Cependant cela m'amène à me poser une question miroir : "qu'est-ce que je cherche à apporter à celles et ceux qui m'écoutent ?".

Car certes, pour moi ma musique fait sens mais le fait-elle pour les autres ? Je me souviens d'une critique que l'on m'a faite après l'écoute de Mental Bazar Electrique 2 : "Les chansons tristes, on les écoute et cela nous fait du bien, notre tristesse s'en va avec elles. Toi, tes chansons sont hyper noires et tu nous emmènes avec toi vers le fond. À la fin on se sent aussi mal que toi !" Cette critique est super intéressante : elle montre à quel point j'ai atteint mon but (faire ressentir ce qu'est la dépression de l'intérieur) ET elle montre à quel point cette intention est maladroite. Oui : dans ma quête de sens, j'ai cherché à démontrer à tous à quel point je me sentais mal mais en quoi est-ce utile aux gens ? Qu'est-ce que je leur apporte de plus ? Ou autrement dit : ma quête de sens embarque-t-elle les autres ? Clairement la réponse est non.

Par rejet ou par idéologie, j'ai longtemps occulté la partie entertainment de mon travail musical. Or, entertainment et quête de sens ne s'opposent pas mais se complètent. Je m'explique. En tant qu'artiste, je me dois d'emmener le public quelque part. Me contenter d'exposer un mal-être est insuffisant : les gens ont assez de leurs problèmes quotidiens pour que je les accable avec les miens. Il faut leur montrer qu'on peut transcender cela, ou briser la noirceur pour tout transformer en poésie, ou encore le convertir en rage et en sueur ! Bref, il faut aller ailleurs, s'évader (ce qui est pour moi l'essence même de l'entertainment), démontrer qu'il y a une transformation et c'est justement ce que je n'ai pas fait avec Mental Bazar Electrique. Je suis resté sur place, au 36e dessous.

Je comprends cependant la remarque d'Anton Corbijn car 99% de la musique diffusée en radio n'est destinée qu'au "fun" et au "cool". C'est de la musique creuse et vide de sens. Il pointe un excès dont mon travail est à l'opposé : trop abscons et pas assez attirant. En effet, il est difficile d'être à la fois populaire et pointu artistiquement. C'est pourtant ce qu'ont réussi à faire nombre d'artistes que j'admire : Pink Floyd, Queen, U2 (ça dépend des périodes), Genesis (ça dépend des chansons), Jeff Buckley...

Une autre phrase m'a marquée et rejoint cette réflexion générale sur la création musicale (j'en ai oubli l'auteur) : "Il y a trois types de musiques : celles pour l'âme, celles pour le coeur, celles pour le corps" soit les musiques du sens, ou de l'émotion ou enfin du rythme pour la danse. Rien n'empêche de cibler les trois en même temps, mais le défi est grand !

Ce constat est en train de changer fondamentalement mon rapport à la musique, à l'écriture musicale que je considère désormais comme une invitation au voyage, au transport (amoureux ou non), à l'évasion. Il est nécessaire et obligatoire d'emmener les auditeurs avec soi !