C'est dans ce genre de moment que l'on se pose des questions sur soi-même et sa démarche. "Qu'est-ce que je fous là?", "Pourquoi j'écris ?", "Pour qui j'écris ?", voire plus vicieux et pas vraiment fertile "À quoi bon écrire ?", etc.
Mon rapport a l'écriture - musicale en particulier - a toujours été passionné et frénétique. Oui, frénétique, comme un besoin vital et presque urgent. J'écris comme on surnage à un courant qui nous emporte. J'écris pour ne pas mourir, pour tenter de respirer encore. J'écris pour ajouter de la vie à la vie. J'écris sans doute dans le désir arrogant de ne pas me fondre dans la masse, de ne pas être comme tout le monde. J'écris pour me la péter, pour me vanter, parce que voyez-vous "je suis compôsiteûr de mûsique, moa, môsieur !" (tu parles !). J'écris pour ne pas avoir la honte asphyxiante de n'être qu'un rouage anonyme dans une société certes sécurisée et bien réglée mais épouvantablement normative. J'écris pour dessiner mes propres contours et tenter de résoudre l'énigme continuelle qu'est mon identité. J'écris pour tenter de donner réalité à tous les sons que j'entends dans ma tête car je suis persuadé que c'est un don, un cadeau de la vie qu'il est de mon devoir d'être à la hauteur de ce don. J'écris comme je fuis en avant. En toute hâte. En panique.
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photo Edward Honaker |

Vous sentez à présent ? Mon écriture sent la peur de l'oubli, le peur de la mort. Elle puise dans le sombre et la noirceur. Mais c'est sans doute cela qui est en train de changer et de grandir. À clôturer les vieux projets et à faire tomber les peaux mortes, je révèle autre chose, un autre visage que j'apprends à connaître et à apprivoiser. De ce magma artistique va naître quelque chose dont je n'ai pas encore la vision et qui va muter l'encre de mon stylo.
Je suis déjà en train de réapprendre à écrire. Prendre plus le temps (faire fi de l'urgence), ne pas ouvrir tout de suite l'ordinateur, prolonger le plaisir de l'écriture papier et de l'imagination sonore. L'esprit est tellement plus fertile que la machine ! Aller dans les détails, affiner les mélodies. Être plus rigoureux dans ma notation des partitions, les classer, les numéroter, les annoter, les commenter. Limiter la hardiesse harmonique, bien trop démonstrative. Affermir les motifs, les réutiliser, les répéter sinon ce ne sont pas des... motifs. Oser la simplicité, le dépouillement et l'économie de moyens. Et surtout soigner les lignes vocales.
L'encre de mon stylo change déjà de couleur : la musique n'est désormais plus une fuite en avant et une tentative bravache de valoir mieux que tout le monde. Elle devient un partage, un moment. Elle devient un lien et mon devoir est de nous relier tous ensemble. Elle devient porte de perception vers d'autres endroits, d'autres paysages sonores. Ces portes-là, je les multiplie : mes curiosités m'emmènent vers d'autres ailleurs.
Il me faut par ailleurs retrouver une émotion primitive. Celle d'avant l'arrogance, avant l'envie d'être admiré, avant de faire de la musique un substitut d'amour-propre et de confiance en soi. Cette émotion primitive, c'est cet émerveillement de l'assemblage des sons entre eux, cette sensation de comprendre la logique de la musique, comment elle s'imbrique. Il me faut retrouver cette jubilation quasi enfantine de jouer avec les sons, les notes, les textures tel un enfant avec son jeu de construction simplement heureux de bâtir sans volonté de plaire à quiconque. Un retour à l'innocence de faire pour faire.
Je vais bientôt savoir jouer de la musique !