Lettre d'adieu à JeF

Mon cher JeF,

Autant ne pas te laisser dans l'attente et l'appréhension : après 15 ans de vie commune, c'est là que nos chemins se séparent.
Tu es né à Paris, telle une idée ou une envie griffonnée sur la page désormais jaunie d'un calepin. Tu as su m'accompagner, évoluer selon mes changements de direction. Mes changements d'air. Mais vois-tu, tu représentes à mes yeux comme un ancien monde, une ancienne manière de faire de la musique et de vivre la musique. Tu as été une "peau" ou un costume (pas si bien taillé, avoue-le) que j'enfilais sans doute pour me donner plus de contenance et d'épaisseur. Sans vouloir régler les comptes, permets-moi d'énumérer tes gros défauts, mon cher JeF.

  • Tu a été un "label", une étiquette, une esthétique : sous ta houlette, j'ai fait du JeF. De la chanson fouillée parfois alambiquée (réécoute "Colère" ou "Journée de travail") aux paroles très ciselées. Et surtout je n'ai fait que de la chanson. Aucun autre genre n'avait cours.
  • Tu as été une posture : être JeF, c'était être un artiste "pointu" et peu accessible. Le genre qui se la pète devant une prétendue haute valeur artistique autoproclamée. Abscons et indigeste.
  • Tu as été une imposture : j'ai dû me faire croire que je voulais être un grand guitariste, un guitarero alors qu'honnêtement, je n'ai rien pour. Au fond, tout au fond de moi, la guitare - bien qu'ultra fascinante - ne restera jamais qu'un outil. Un simple ou-til. Ce que j'aime par-dessus tout, c'est l'acte d'écrire. Mon véritable instrument de musique, c'est le crayon.
  • Tu as été un rêve autant qu'une envie de plaire et de réussir. RE-U-SSIR. Tu as incarné mon envie de vivre de la musique. Tu as eu des prétentions. De tous tes défauts, voici le plus grand. Je te le dis tout net : c'est ce qui m'a empoisonné l'être et la plume. Ton prénom en trois lettres facile à retenir et à mettre en logo était déjà un outil pour s'insérer dans les mémoires, toutes les mémoires. Tu t'es voulu incroyable ou grandiose, alors que tu es anonyme. Tu as cru pouvoir tutoyer les plus grands alors que tu n'es qu'un chanteur de salle de bains. Tu as rêvé marqué l'Histoire et tu n'auras finalement marqué que la mienne. Avec un petit "h".
Voilà, mon cher JeF, les principales raisons qui me poussent à te laisser aujourd'hui sur le bord de la route. Je ne regrette rien de ce que nous avons vécu toi et moi, je suis particulièrement fier de ce qui a été écrit, réalisé, produit, publié. Je suis même reconnaissant de tout ce que nous avons vécu ensemble. Ainsi, n'y vois rien de personnel. D'idée tu retournes à l'idée, au souvenir.

Tu as été un autre que je ne suis plus.
Je suis désormais un peu plus grand que toi
Je suis autrement plus vivant

Je suis Jean-Christophe