L'aventure intérieure est un beau voyage immobile. Le chemin est encore plus plaisant que la destination.
Ma découverte des derniers jours est l'importance des mots dans mon élan créatif. Ou autrement dit : je n'ai écrit que peu de musique qui ne soit pas soutenue, voire délimitée par les mots. Opéras, musiques sacrées, musique de films, chansons... Seules les pièces de musique ambient sont des musiques pour elles seules.
Chacun des volets de la trilogie Mental Bazar Electrique a commencé son existence par les textes des chansons. Ce n'est qu'après que j'ai bâti l'univers sonore, à l'exception près de "Crépuscule" dont la musique a été écrite en premier.
Ce constat m'a fait faire un voyage en arrière. C'est très amusant un voyage en arrière ! Vous voyez défiler le temps dans l'autre sens, vous jouez à Benjamin Button et redevenez plus jeune, vous revoyez les personnes qui ont marqué des époques de votre vie mais aussi des sons, des couleurs et pas seulement ! Il y a aussi des livres, des films, des musiques qui ont balisé chaque âge que vous avez traversé. Ce voyage avait un but : quelle a été l'influence des mots sur moi ? Je me définis le plus souvent comme musicien : et si se cachait aussi un homme de l'être, pardon, de lettres ?
Mon voyage en arrière m'a fait m'arrêter en enfance, disons vers 8 ans. Je me suis amusé à commander des livres que je lisais à cet âge-là: Essuie la vaisselle!, Paris-Pékin par le Transsibérien, La belle lisse poire du Prince de Mot Tordu. J'en ai cherché d'autres sans les trouver. Ces livres tous plus rigolos, décalés et absurdes les uns que les autres, m'ont rappelé à quel point j'aime jouer avec les mots. Et si le français était aussi un de mes instruments de musique préférés ?
J'ai continué mon voyage en arrière vers l'avant. Après tout pourquoi pas ? Je me suis arrêté vers 15 ans. Charles Baudelaire et ses Fleurs du mal me passionnent alors. Le poète utilise le français pour ouvrir une porte vers un monde, vers des mondes, porte que le lecteur choisit de franchir ou non. Un peu plus tard, 17 ans. Émile Verhaeren, Les Villes tentaculaires. Le poète se fait devin et décrit un futur saisissant de vérité puisque nous y sommes !
Mon train du voyage en arrière désormais en avant a repris pour arriver à 20 ans. Jim Morrison (un autre ouvreur de portes), l'intégrale bilingue. En plus du français, découverte de la poésie en anglais. C'est le choc. Morrison est libre dans la forme, dans le fond, rime ou ne rime pas, fait court, très court ou interminable, utilise tout les thèmes, l'amour, l'Amérique, la condition sociale, dresse des portraits, décrit des instants, écrit un hymne, des chansons... Cette liberté dans la forme libère ma propre plume et je me mets à écrire, à écrire beaucoup. Jusqu'à près de 400 poèmes ! De format et de longueur tous très différents. Peu importe la qualité, ce qui compte c'est écrire, apprendre le geste, puis comprendre le style à force de geste.
Un peu plus tard, c'est au tour de William Blake avec son dyptique Songs of Innocence / Songs of Experience (bien avant U2 !) de me marquer l'esprit par sa poésie dense, évocatrice et mystique. Détail important : William Blake a auto-édité ses poèmes en les imprimant lui-même. Culotté.
Tiens ! Je viens de parler de quatre poètes : et si la poésie m'avait marqué autant que la musique ? Au fond, c'est faire sonner la langue qui, une nouvelle fois, devient un instrument de musique. C'est faire sonner les langues, toutes les langues. La poésie a quelque chose d'universel... Je prends conscience que les mots ont un poids au moins aussi grand que celui des sons dans mes fondations.
Cette découverte n'est pas sans conséquence...