Grace a 30 ans


Grace, le seul et unique album sorti du vivant de Jeff Buckley, a 30 ans cette année. Il est sorti le 23 août 1994. Je l'ai découvert quelques années plus tard, à la mort de Jeff Buckley survenue en 1997.

Je me souviens bien de ce moment-là. J'étais seul dans l'appartement de ma grand-mère, à Paris. Le mois de juin respirait déjà l'été, j'avais 19 ans et l'avenir bouillonnant. J'ai pris le temps d'acheter le CD afin de l'écouter in extenso le soir même, pour une soirée découverte, en somme. Et là... je me me suis pris une énorme claque musicale. Clairement, je n'étais pas prêt.

C'est là toute la magie de cette époque. Aucun réseau social ni vidéo partagée ne m'avait préparé : j'écoutais cet album sans rien savoir de ce à quoi je devais m'attendre.

Tout m'a plu d'emblée. Tout. La voix, les arrangements, le son, les paroles, la diversité des ambiances en 10 titres (car à l'époque Forget Her n'avait pas été ajouté), le côté romantico-mélancolique. Jeff Buckley m'a emmené avec lui dans son monde avec sa voix pure et haut perchée, son vibrato sensible, sa science de la nuance. Parmi tous les titres, sans doute que Grace m'a encore plus frappé par son énergie rock et son arrangement quatuor à cordes (qu'on retrouve aussi dans Eternal Life).

Mais que dire de Mojo Pin qui allie douceur et violence et qui commence comme un lever de soleil ? Ou de Lilac Wine qui nous invite dans une sorte d'alcôve intime et aérienne (bon sang, cette dernière note tenue au chant !) ? Hallelujah, bien évidemment, é-vi-de-mment ! Ou Corpus Christi Carol ? Le mec reprend de la musique classique ! Et qui plus est de mon compositeur anglais préféré, Benjamin Britten (que ma grand-mère m'a fait découvrir quand j'étais môme avec l'Arche de Noé) ! Ou le torturé So Real et ses harmonies dissonantes ? On appelle cela comment, du rock contemporain ? Et le mystique et puissant Dream Brother et ses renversements d'accords de septième ?

En fait, je me souviens de la sensation de fin d'écoute : j'étais sonné et épuisé. Jeff Buckley m'avait mis KO. J'avais la sensation que je n'avais plus besoin de faire de la musique car ce type avait tout compris et tout dit. Jeff Buckley avait fait le job et son album était bien nommé : il avait touché la grâce, la vraie.

Dire que cet album m'a influencé est un euphémisme ! Déjà par le pseudo que j'ai choisi par la suite : JeF. Certes, il était composé de nos prénoms, Jean-Christophe et Franck, mais cela m'arrangeait bien de coïncider avec le prénom de l'ange Jeff ! Ensuite, la discographie de JeF - dont l'aventure a pris fin en 2018 - s'achève sur l'album... Grâce, le dernier volet de la trilogie Mental Bazar Electrique. On échappe difficilement à ses influences. Mais l'influence continue bien au-delà, également dans l'écriture, dans le mix laissant de la place pour chacun des instruments, dans l'audace de mélanger les genres, d'aller chercher les influences et les assumer (on sent très bien les apports de Led Zeppelin et Nusrat Fateh Ali Khan sur Grace).

Cet album est définitivement une référence pour moi, il figure parmi mon Top 10. Je l'écoute moins souvent des derniers temps, car je me suis éloigné de ma période romantico-mélancolique vers laquelle cet album me ramène.

Pourtant, je ne boude pas mon plaisir voire mon étonnement toujours renouvelé à chaque fois que je le réécoute, comme si je me reconnectais à celui que j'étais à 19 ans...

Merci Jeff...